JEREMY ESTEVE

PORTFOLIO

TEMPUS FUGIT (2014 – 2019)

Atteinte de la maladie d’Alzheimer, la présence de ma grand-mère, Marguerite Albert, s’est envolée au fil des années.

Témoin impuissant du versant fané de cette femme si douce, j’ai trouvé par la photo une place dans ces instants brumeux.

J’ai commencé à photographier ma grand-mère dans un simple but esthétique, ma réflexion sur sa maladie a réellement débuté en 2014. Mon travail à Paris, l’éloignement, ne m’ont pas permis d’être auprès d’elle autant que souhaité. J’ai manqué des étapes que je tente de rattraper à chaque visite. « Rattraper le temps » … voilà l’ironie de la situation ! L’impression qu’on a quelque chose à sauver, l’envie d’être reconnu tout en sachant que ça n’arrivera pas.

Fin 2019, je suis devenu père. Le retentissement d’un tel événement dans ma vie a confirmé ma volonté d’accomplir cet impératif de mémoire. Incapable d’imaginer oublier ma fille, je parle pour rendre hommage à ma grand-mère, lui redonner cette parole qu’elle a perdue et conjuguer au présent ce qu’elle est, ce qui reste.

« La maladie de A »
On ne la nomme pas. Prudence et pudeur entourent ce mal qui morcèle la mémoire. Cette expression, empruntée à Olivia Rosenthal dans son récit « On n’est pas là pour disparaitre », caractérise bien cet ennemi invisible, impensable et imprononçable qu’on consent seulement lorsqu’il est déjà trop tard.

Le temps a passé dans cette maison qui m’a vu grandir. Les histoires familiales ne sont plus des récits vivants au travers de ses mots à elle, mais de simples photos qui ont pris la poussière. L’empreinte des années, le souvenir, nous gardent mes proches et moi dans sa présence. Le temps s’est suspendu, même arrêté et ce lieu qui lui ressemble n’est plus que l’écho d’une maladie qui ôte.

Mes grands-parents n’ont pas été de grands voyageurs, mais autour de leur soixantaine ils ont acheté un camping-car et ont traversé les régions de France, d’Italie, d’Espagne et du Maroc. Durant ces périples, ma grand-mère Maggy a tenu un carnet de voyage. Le ton est frais, parfois poétique et il m’est facile de retrouver la douceur de cette femme au travers de ces écrits. La graphie est belle et soignée jusqu’en 2010 où les souvenirs s’appauvrissent, les récits se brouillent, l’écriture se délie.

« (…) 4h de l’après-midi, enfin un peu de repos, Maggy va bien, elle est heureuse de cette journée »

Cette dernière phrase du carnet, écrite par mon grand-père cette fois, date de 2015. Il évoque, sans même le savoir, ce que seront les prochaines années. Marguerite sera souriante la plupart du temps, bien que résolument absente. Tout se mélange, le temps, les gens, les situations. Le sens se perd, mais la vie continue et mon grand-père reste fort et présent.

Voilà ce que je souhaite conserver. Aujourd’hui encore, il y a de la vie.
Lui dire une dernière fois que ce n’est pas grave si elle a oublié, nous on se souvient.

TEMPUS FUGIT (2014 – 2019)

After she was diagnosed with Alzheimer’s, Marguerite Albert, my grandmother’s lucidity slipped away over the years.

I stood by helplessly watching this gentle woman’s mind fade, but found solace in photography during those hazy times.

In the beginning, I photographed her purely for artistic reasons. It wasn’t until 2014 that it became a way to reflect on her illness. I lived far away, in Paris, so I did not see her as often as I would have liked. I tried to make up for lost time when I did visit. ‘Make up for lost time’ – what a strange turn of phrase! As if it were possible to regain what has been lost, for her to remember me when I knew she wouldn’t.

In late 2019, I became a father. My life changed in ways that made me even more determined to find a way to capture memories. I cannot imagine forgetting my own daughter. And so my art is a way to honour my grandmother, to give her back the voice that she has lost, and to portray her, or what of her still endures, as she is now.

“A.’s disease”
We do not speak the name of her illness. We dance around mentioning the evil thing eating away at her memory. The term ‘A.’s disease’, borrowed from French novelist Olivia Rosenthal’s book We’re Not Here to Disappear, is an apt description of the invisible, unimaginable, unspeakable enemy acknowledged only when it is too late.

Time marches on in the house where I spent much of my childhood. Gone are the lively family stories she would recount to us, and all that remains are photos gathering dust. She keeps her loved ones in her heart through the memories that have been imprinted in her over the years. Time has slowed or perhaps even stopped for her, and the house that was once a reflection of her is now merely an echo of the disease that is stealing her memory.

My grandparents never travelled much, but when they were in their sixties, they bought a camper van and drove around France, Italy, Spain, and Morocco. Grandmother Maggy kept a diary on those expeditions, in which her tone was peppy and occasionally poetic. Her gentle nature shone through in her writing. Her script remained deliberate and graceful up until 2010, when her memory began to fade, stories became mixed up in her mind, and her handwriting deteriorated.

‘… Four in the afternoon. Finally got some rest. Maggy is doing well. Today was a happy one for her.’

This is the last line in her diary, this time written by my grandfather in 2015. He didn’t know it then, but his words were a portent of the years to come. Marguerite is indeed cheerful most of the time, though noticeably absent. Everything – time, people, situations – is a blur to her. She is losing her senses, yet life carries on and my grandfather remains strong and by her side.

That is what I want to capture. The fact that even now, life goes on. I want to tell her one last time that it is all right if she cannot remember. Because we do.

Partir, c’est regarder les étoiles un soir de 15 août
Imaginer les mers, les montagnes, les fleuves, les couchers et levers de soleil
Les hommes, les femmes, les enfants
C’est partager, ne pas comparer, ouvrir son cœur et son esprit
Accepter la différence et s’en enrichir
Revenir riche de ces sourires, du partage amical
S’étonner encore et encore pour que la vie soit belle

Merci.

Marguerite Albert, 2005.